Horace Walpole (and the English garden)

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Laurent Guyot, ‘Jardin anglais de Mr le Comte de M., vue de la Fontaine et du Temple de l'Amitié’, Bibliothèque Nationale de France, Gallica.

Résumé

Par la richesse de ses relations sociales dont on connaît les retentissements grâce aux correspondances échangées avec ses compatriotes et des personnalités françaises influentes, comme Madame Du Deffand, Horace Walpole contribua largement à la diffusion du modèle du jardin anglais en France durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il partagea ses théories dans son Essai sur l'art des jardins modernes (1785) et imagina un modèle incomparable pour sa demeure de Strawberry Hill, située près de Londres.

Né en 1717 à Londres, Horace Walpole est le troisième fils du célèbre ministre Robert Walpole. Après des études à Cambridge, il entreprend le Grand Tour avant de débuter une carrière politique, qui l’ennuie rapidement. Fervent épistolier, collectionneur, il voyage régulièrement en France et en Italie, où sa personnalité brille dans les cercles de sociabilité. Ayant écrit sur les arts (Anecdotes of Painting, 1762) et le célèbre roman gothique The Castle of Otranto en 1764, il va fortement contribuer au déploiement d’une nouvelle esthétique dans l’art des jardins.

 

La fréquentation des salons : lieux de déploiement des modes  

Lorsqu’il voyage en 1739 en France en compagnie du poète Thomas Gray avant de se rendre en Italie, l’homme de lettres se fait un observateur attentif des codes en vigueur dans la société parisienne, où il se rendra régulièrement entre 1739 et 1775. Walpole étudie la mode des jardins à l’anglaise, qui se développe rapidement en France, à Paris et en région. La propriété de Chanteloup en Touraine est l’un des exemples de jardin anglo-chinois, qu’il a l’occasion de visiter. Dans ces jardins, des intrigues se nouent, ‘car l’espace mondain est, bien sûr, à lui seul une scène de théâtre où chacun est à la fois acteur et spectateur‘,1  comme le rappelle Didier Masseau. On y croise la marquise de Boufflers et Madame du Deffand, qu’il rencontre dans son salon rue Saint Dominique et avec laquelle il noue une amitié épistolaire qui va durer quinze ans. Alternant éloges et critiques, Walpole ‘s’accommode assez du régime des salons, tout en raillant cette curiosité vorace et futile que met en mouvement la moindre nouvelle, la moindre bagatelle et qui ‘se jette en gloussant sur tout événement, comme un poulailler sur un grain de raisin‘‘.2 C’est grâce à sa correspondance que l’on découvre sa perception des paysages et des jardins aménagés par ses contemporains en France et en Angleterre. On voit également comment sa personnalité exerça un rôle phare dans le déploiement d’une nouvelle esthétique dans l’art des jardins en Europe.

 

  • 1. Didier Masseau, ‘Réseaux mondains et hautes figures du bon goût au XVIIIe siècle‘, dans Stavrides Guy (dir.), Une histoire du bon goût (Paris: Éditions Perrin, 2014), p. 95-130, p. 97.
  • 2. ‘Lettres à Lady Henry, 16 janvier 1766, ‘Les femmes philosophes‘‘, Le Correspondant: revue mensuelle: religion, philosophie, politique (Paris: 1878), p. 683-726, voir p. 718.

L’attrait de la campagne et l’envie de nature

Au XVIIIe siècle, toute une classe sociale qui s’est installée en ville retrouve l’attrait des charmes de la campagne. Aimez vos femmes et vos châteaux, disait le duc de Broglie à ses amis. Jean-Jacques Rousseau inspirait à ses lecteurs le sens pittoresque de la nature et dès le printemps, Paris désertait ses salons. Comme l’évoque Adolphe de Lescure, la capitale élégante fait l’école buissonnière, ne foule plus que le tapis vert des prés et ne souffre plus d’autre voile entre le ciel et elle que la voûte de feuillage des bois.3 Dans ses dernières lettres écrites de Paris, Walpole constate, sans regret, qu’il n’y a personne à Paris, et que le monde ne tient plus salon à la ville, mais aux champs. C’est au XVIIIe siècle, en effet, que les espaces naturels deviennent des objets d’étude ou d’appréciation esthétique, c’est-à-dire paysages4  et que les randonnées pédestres deviennent à la mode.

  • 3. Adolphe de Lescure, Rivarol et la société française pendant la Révolution et l'émigration (1753-1801): études et portraits historiques et littéraires (Paris: E. Plon et Cie, 1883), p. 281.
  • 4. C.-F. Mathis, ‘De Wordsworth au National Trust: la naissance d’une conception sentimentale de l’environnement‘, in Histoire, économie et société (2009), p. 51-68, voir p. 51.

Dès 1749, Horace Walpole construit un jardin en créant une nouvelle esthétique qualifiée de Gothic Revival, pour sa demeure de Strawberry Hill, située à Twickenham, comme l’évoque Amédée Pichot au XIXe siècle: 

C’est dans cet Eden d’agollées sablées, de tonnelles de verdure et de grottes artificielles, que le célèbre Horace Walpole, artiste et poète grand seigneur, avait choisi sa résidence d’été ; et c’était là qu’il avait meublé à sa fantaisie cette jolie bonbonnière architecturale, appelée en anglais le Château de la colline des fraises.5

  • 5. Amédée Pichot, Les Poëtes amoureux, épisodes de la vie littéraire (Paris: M. Lévy frères, 1858), p. 263.

Les travaux se prolongent jusqu’en 1776. Pour réaliser ces transformations, Walpole s’est inspiré d’anciens châteaux et de maisons de campagne et s’est entouré de conseillers, parmi lesquels Richard Bentley et John Chute: 

Strawberry Hill, où Horace Walpole avait fui les embarras de la capitale – abandonnant, disait-il, Londres aux putains, à la Régence et aux douairières – était une villa gothique faite de briques et de plâtre, où tout était faux, gracieux et minuscule. Il y manquait surtout cette atmosphère de mystère que peut seul créer le passage des siècles sur la pierre, cette patine du temps qui favorise toutes les sublimations.6

 

  • 6. Jean Ducrocq, Suzy Halimi, Maurice Lévy, Roman et société en Angleterre au XVIIIe siècle (Paris: 1978), p. 181.

Les fêtes au jardin de Strawberry Hill : lieu de sociabilité

Dans son manoir, Walpole reçoit une élite étrangère aussi bien que britannique, composée de diplomates, d’épouses de parlementaires, d’anciens camarades d’Eton et de Cambridge, tels le poète Thomas Gray, George Montagu... Il y accueille aussi des émigrés qu’il a connus chez Mme du Deffand. Celle-ci évoque dans ses lettres l’attrait exercé par sa demeure:

Oh ! vous n’êtes point fâché qu’on vienne voir votre château : vous ne l’avez pas fait singulier, vous ne l’avez pas rempli de choses précieuses, de raretés : vous ne bâtissez pas un cabinet rond, dans lequel le lit est un trône, et où il n’y a que des tabourets, pour y rester seul, ou ne recevoir que vos amis.7

  • 7. Lettres de la marquise Du Deffand à Horace Walpole, tome 1 (Paris: 1812), p. 326.

En effet, Walpole proposait des fêtes à ses invités. Dans une lettre adressée le 17 mai 1763 à George Montagu, il imagine les propos que pourraient tenir Madame de Boufflers après avoir été reçue dans sa demeure de Strawberry Hill: 

On vient de nous donner une très jolie fête au château de Strawberry : tout était tapissé de narcisses, de tulipes et de lilas : des cors de chasse, des clarinettes, des petits vers galants faits par des fées et qui se trouvaient sous la presse, des fruits à la glace, du thé, du café, des biscuits et force rôties chaudes.8

  • 8. Lettres de Horace Walpole, écrites à ses amis pendant ses voyages en France, trad. Comte de Baillon (Paris: 1872), p. XVII.

Attirant l’élite française, ces fêtes au jardin étaient un moment de sociabilité incontournable, comme le rappelle Sainte Beuve:

Les matinées avec promenades en calèche, cavaliers et piqueurs alentours, pouvaient ressembler à un tableau de Wouvermans ; mais les après-midi sont de vraies journées de Watteau. Dîner au son du cor et du hautbois ; promenade au Belvédère, avec un arc-en-ciel qui paraît juste comme à point nommé pour décorer le fond du paysage ; collation rurale dans le bois, à l’entrée de la grotte.9

 

  • 9. Sainte-Beuve, ‘Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu, le duc de Nivernais‘, Revue contemporaine et Athenaeum français (Paris: décembre 1856), p. 785-809, voir p. 804.

La diffusion de la mode des jardins anglais en France

Lieu de sociabilité où l’on vient se montrer, où l’on cause, où c’est quelque chose de si sociable que de pouvoir se serrer la main par-dessus la rivière, du sommet de deux montagnes‘ (Lettres de Horace Walpole, 236-237), le jardin voit l’organisation de son espace bouleversée. Rompant avec les modèles français et hollandais en vogue au siècle précédent, le nouveau style de jardin prend pour modèle les paysages peints, comme en témoigne l’Essai sur l’art des jardins modernes10  publié par Walpole en 1764. Par ce traité, Walpole participe à la diffusion continentale du modèle du landscape garden11 , ce jardin paysage dans lequel on voyage partout à travers une succession de tableaux : et là même où il se trouve des défauts de goût dans la composition, le coup d’œil général est toujours embelli par la variété‘ (Walpole, 'Essay on modern gardening', 84). Il fait part de ses observations, qu’il développe dans sa correspondance, notamment auprès du révérend William Mason, jardinier-paysagiste en Angleterre: 

Je suis allé à Auteuil voir le jardin anglais de la comtesse de Boufflers : celui-là est strictement anglais, c’est elle qui l’a créé d’après un jardinier anglais. Il contient cinquante-deux acres de terre, qui vont en montant depuis la maison jusqu’à une hauteur qui s’avance dans les champs, avec des lices, des arbres et des arbustes détachés. Le gazon est supportable, bien que grossier et d’un vert rarement en usage dans le jardin d’un gentleman en Angleterre […]. De la terrasse, la vue s’étend, à travers la plaine, sur une magnifique perspective.‘ (Lettres de Horace Walpole, 288-289)

  • 10. Horace Walpole, Essay on modern gardening. Essai sur l'art des jardins modernes, traduit en françois par M. le duc de Nivernois (Strawberry-Hill: 1785).
  • 11. Jean-Louis Haquette, ‘La page et le paysage: l’Essai sur les jardins‘, Michel Baridon; Jean-Louis Haquette, Moulin Joly, un jardin enchanté au siècle des Lumières (Musée municipal d’art et d’histoire de Colombes: 2006), p. 7-9, voir p. 7.

Dès lors, les aristocrates de l’époque s’enthousiasment pour des résidences de villégiature et pour les jardins anglais, moins géométriques que le modèle français, peu propice à la promenade. Dans une lettre adressée à son ami John Chute en 1771, Walpole témoigne de son observation du développement encore timide des jardins anglais en France en décrivant le jardin de Tivoli créé par M. Boutin, conseiller d’État, rue de Clichy: 

[…] la mode des jardins anglais fait ici des progrès étonnants, quoique assez peu rapides, car je n’en ai vu littéralement qu’un seul et encore il ressemble exactement à la carte d’échantillons d’un tailleur. C’est un M. Boutin qui a relié un morceau de ce qu’il appelle un jardin anglais, à toute une série de terrasses en pierres avec des degrés de gazon. Il y a trois ou quatre montagnes fort élevées, exactement pareilles pour la hauteur et pour la forme, à un pudding aux herbes.‘ (Lettres de Horace Walpole, 229-230)

Mais le jardin anglais peut également s’avérer une retraite propice à la solitude et au repli sur soi, comme en témougne cette lettre adressée à Horace Mann en 1765:

À mon retour, en février ou en mars, selon le temps beau ou mauvais, je concentrerai à Strawberry le peu qui me reste de plaisirs et je serai assez heureux si je retrouve l’usage de mes membres. Je vous souhaiterais un Strawberry, d’où vous pussiez regarder d’en haut les grandeurs et les mortifications des grandeurs avec la même indifférence que moi.‘ (Lettres de Horace Walpole, 68)

Il s’éteindra en 1797 dans son foyer de Strawberry Hill après avoir longuement voyagé.

Citer cet article
LE PAPE Isabelle, "Horace Walpole (and the English garden)", Encyclopédie numérique de la sociabilité britannique au cours du long dix-huitième siècle [en ligne], ISSN 2803-2845, Consulté le 28/03/2024, URL: https://www.digitens.org/fr/notices/horace-walpole-and-english-garden.html

Références complémentaires

Barrell, Rex A. Horace Walpole (1717-1797) and France (Lewiston: E. Mellen Press, 1991).

Cooper-Richet, Diana, La France anglaise : de la Révolution à nos jours (Paris: Fayard, 2018).

Durot-Boucé, Elizabeth, L'Autre voix/e: Horace Walpole, L'Arlequin de Strawberry Hill (Lannion: Travaux d'Investigation et de Recherche, 2020).

Haggerty, George, E., Horace Walpole's Letters: Masculinity and Friendship in the Eighteenth Century (Lewisburg [Pa.]: Bucknell University Press, 2011).

Harney, Marion, Place-making for the Imagination: Horace Walpole and Strawberry Hill (Farnham (GB); Burlington (Vt.): Ashgate, 2013).

Jardins romantiques français: du jardin des Lumières au parc romantique, 1770-1840 (Musée de la vie romantique, 8 mars-17 juillet 2011: Paris musées, 2011).

Le Ménahèze, Sophie, L'invention du jardin romantique en France, 1761-1808 (Neuilly: Spiralinthe, 2001).

Richardson, Tim, The Arcadian Friends: Inventing the English Landscape Garden (London: Bantam press, 2007).

Snodin, Michael, Horace Walpole's Strawberry Hill (New Haven (Conn.): Yale University Press, 2009).

Vestroni, Valentina, Jardins romanesques au XVIIIe siècle (Paris: Classiques Garnier, 2016).

 

In the DIGIT.EN.S Anthology

Horace Walpole, Letter to Conway, Thursday 12 February 1756.

Horace Wapole, Strawberry-hill (1774).