Huguenots in Northern Europe

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C. D. Fritzsch, ’Pierre His, négociant huguenot à Hambourg’, Den Kgl. Kobberstiksamling, Statens Museum for Kunst Copenhague, XVIIIe siècle.

Résumé

Au XVIIe siècle et surtout après la révocation de l’édit de Nantes en 1685, les Calvinistes français ou Huguenots, se réfugient dans les pays protestants d’Europe du Nord. Le groupe des négociants s’installe dans les grands centres commerciaux notamment les ports où leur intégration est plus ou moins grande selon les pays d’accueil. Ils donnent naissance à une société multiculturelle caractérisée par des relations familiales et économiques transnationales.

L’image traditionnelle du Huguenot est celle d’un homme profondément attaché aux nouvelles idées religieuses propagées par Calvin, persécuté par les mesures discriminatoires du roi de France et subissant une grande violence pour abjurer sa foi. Devant l’impossibilité de vivre dans leur patrie sans renier leur religion, les réformés s’enfuient au prix de grands dangers, tout particulièrement après la révocation de l’édit de Nantes, vers des contrées où règne une plus grande tolérance religieuse, notamment les pays protestants de l’Europe du Nord, comme les Provinces-Unies, l’Angleterre, les principautés allemandes ou la Scandinavie. L’émigré huguenot, même s’il s’installe définitivement hors de France, garde cependant des relations avec son pays d’origine tout en conservant une appartenance communautaire très forte que ce soit en matière de religion ou de sociabilité. Ainsi, en raison de ses activités internationales, le groupe des négociants huguenots développe des réseaux d’affaires transnationaux renforcés par des unions matrimoniales entre coreligionnaires des différents pays du Refuge.

Si la représentation de l’émigré persécuté est certainement proche de la vérité pour de nombreux Huguenots chassés de leurs villes et villages de Provence, de Languedoc, de Guyenne ou de Saintonge, l’étude des négociants huguenots installés dans le Nord de l’Europe offre une autre image du Refuge. Nombre d’entre eux ne sont pas des hommes persécutés pour leurs idées religieuses ni d’authentiques Français. Certains arrivent de pays calvinistes où leurs familles sont établies depuis plusieurs générations et où ils ne sont nullement persécutés, à l’exemple de la Suisse ou des Provinces-Unies. Leur migration a pour but de créer ou développer une activité commerciale comme de nombreux hommes d’affaires européens,1  notamment dans les années 1720-1750 en liaison avec l’essor du commerce colonial. D’autre part, s’agit-il de ‘Français de France’ ou de réformés calvinistes dont la langue est le français ?2  Les passages fréquents d’un pays à l’autre et les multiples unions matrimoniales transnationales ne permettent pas de répondre à cette question et il est difficile de déterminer précisément l’origine des individus de la communauté huguenote, qui doit par conséquent être considérée dans son ensemble, c’est-à-dire comme comprenant la totalité des individus appartenant à l’Église réformée française. L’importance du groupe exerçant l’activité de négociant est cependant faible par rapport au nombre total des émigrés, et leurs particularités ne doivent nullement être généralisées, d’autant plus que les sources dont dispose l’historien ne concernent que l’élite de ce groupe.

 

  • 1. Klaus Weber, ‘French Migrants into Loyal Germans: Huguenots in Hamburg (1685-1985)’, in M. König et R. Ohliger (eds.), Enlarging European History: Migration Movements in Historical Perspective, Beihefte der Francia, 62 (Ostfildern: Thorbecke, 2006), p. 56.
  • 2. Myriam Yardeni, Le refuge protestant (Paris : PUF, 1985), p. 11.

Les négociants huguenots dans les ports du Nord, l’exemple de Hambourg

Les Huguenots persécutés ont la possibilité de venir se réfugier dans le Nord de l’Europe où la Réforme  est solidement installée et où ils peuvent trouver une grande tolérance envers leur religion ainsi que des conditions avantageuses pour exercer leurs différentes activités, notamment commerciales. Il est cependant difficile d’affirmer que les motivations économiques l’emportent sur les motivations religieuses mais il est évident que le développement des échanges maritimes entre le Nord de l’Europe et la France a joué un rôle non négligeable dans l’immigration des réformés français vers les places commerciales maritimes à l’exemple de Hambourg. Au XVIIIsiècle, la France était le premier partenaire commercial de la ville allemande dont l’industrie la plus importante, les raffineries de sucre, reposait sur les importations en provenance de France. La communauté huguenote de la ville hanséatique réunit environ deux cents personnes dans les années 1770, sans tenir compte d’Altona, ville voisine appartenant au royaume de Danemark, qui offre encore une plus grande tolérance que sa voisine luthérienne. Environ une douzaine de familles huguenotes y ont établi des maisons de commerce avec plus ou moins de fortune : His, Boué, Godefroy, Bosanquet, Boyer, Demissie, Chaunel, Texier, Loreilhe, Jogues, Le Blanc & Cie, Deshons frères… Certains membres de cette communauté comme Chapeaurouge ou His arrivent des cités de Bâle et de Genève où ils n’étaient naturellement pas persécutés.

Hambourg, ville d’observance strictement luthérienne, n’accepte pas les calvinistes au sein de la bourgeoisie de la ville. Ces derniers, s’ils veulent pratiquer le commerce sans devenir ‘bourgeois’, sont contraints d’accepter le statut dit du ‘contrat étranger’. Grâce à cet accord, ils conservent la nationalité française, le plus souvent pendant plusieurs générations même s’ils n’ont plus de contacts avec leur pays d’origine. En cas de problèmes avec le sénat de Hambourg, ce qui arrive régulièrement, ces résidents hambourgeois, considérés comme étrangers, ont toujours la possibilité de se réfugier à Altona où les conditions d’installation sont moins sévères et où ils peuvent poursuivre leurs affaires sans grandes difficultés. Le contrat étranger peut aussi parfois avoir des avantages. Dans les années 1780, l’importante maison ‘Boué & fils’ demande à bénéficier des avantages que le gouvernement français vient d’accorder aux maisons françaises qui pourraient s’établir dans la ville hanséatique. À ce propos, le fils de Pierre Boué indique que son père et son grand-père sont nés à Bordeaux et que lui et sa famille ‘ne sont pas bourgeois et regardés comme français’. La formulation laisse cependant penser qu’il ne se considère pas tout à fait comme français mais plutôt comme hambourgeois.

Une des plus importantes maisons de commerce de Hambourg est celle de Pierre Boué (1677-1745), huguenot issu d’une famille de négociants et de financiers originaire de Clairac-sur-Lot près d’Agen qui y arrive en 1700. Il y rejoint sa sœur et son oncle qui s’y étaient réfugiés après la révocation de l’édit de Nantes, et fait ainsi partie des pionniers de la colonie huguenote dans la ville hanséatique. Pierre Boué est un homme habile ayant d’excellentes qualités pour les relations publiques et donc pour les affaires. Il a reçu, comme beaucoup de fils de commerçants, une formation au métier du négoce notamment à Amsterdam et à Copenhague. À son arrivée à Hambourg, il s’établit comme négociant spécialisé dans le commerce maritime avec l’Angleterre, armateur et financier. Il dirige également avec son frère le plus grand chantier de constructions navales de la ville hanséatique. À la mort de Pierre Boué, la succession familiale est assurée par son fils Jean-Pierre, puis par ses deux petits-fils Pierre et Alexandre sous la dénomination ‘Boué & fils’. En 1765, ‘Boué & fils’ participent à la première compagnie d’assurances de Hambourg sur les risques de mer et les incendies.

Pierre Boué entretient d’excellentes relations avec la France. En 1718, il participe aux activités de la ‘Compagnie du Sénégal’ et spécule sur le caoutchouc. Il est le correspondant de la Compagnie des Indes de Lorient à qui il fournit navires, mâts et autres produits du Nord. À partir de 1729, il fait des affaires sur les ventes de sucre en provenance de Bordeaux où il a son beau-frère comme client régulier. Ses relations lui ouvrent le marché de la ‘Compania Guipuzcoana de Caracas’ de Saint-Sébastien en Espagne à qui il livre des toiles, du goudron, du chanvre et autres marchandises.

 

Entre assimilation et cosmopolitisme

L’affermissement des maisons de négoce passe par les alliances matrimoniales qui peuvent être différentes selon les pays d’accueil. À Stockholm, où il n’y a pas de contraintes particulières, les mariages entre Huguenots représentent 40% de l’ensemble des mariages enregistrés à l’Église réformée Française alors que les mariages franco-suédois n’en groupent que 17,5%. Dans le cas de Hambourg, cette stratégie souffre des blocages entre luthériens et calvinistes. Ainsi, la difficulté pour obtenir le statut de citoyen hambourgeois favorise le cosmopolitisme de la communauté. Le réseau familial de la famille Boué est un exemple des multiples liens internationaux qu’a su nouer la diaspora huguenote. En 1705 Pierre Boué épouse à Altona, la fille du commerçant Rudolph Bardewisch. Deux de ses sœurs sont mariées avec des Bordelais. Une autre sœur, Eléonore, est l’épouse d’un huguenot originaire de Bordeaux, également installé comme négociant à Hambourg. Leur fils s’unira avec sa cousine, Suzanne, fille de Pierre Boué. La sœur de Suzanne épousera Guillaume Nairac, cousin de Paul, une des grandes fortunes bordelaises, installé comme négociant à Amsterdam ; elle aura comme beau-frère, Pierre Eyma, important commissionnaire de la ville hollandaise, également marié avec une fille Boué. Une autre sœur épousera un autre huguenot français originaire de Montpellier, commerçant et banquier estimé de la ville hanséatique. Leur fille s’unira plus tard avec Pierre Texier, un autre grand nom du négoce d’Amsterdam. Sur les 38 mariages de la famille Boué répertoriés à Hambourg, 28 le sont avec des partenaires huguenots d’origine française. Au cours des années 1790, quand la puissance coloniale française est anéantie, la famille conclut alors des premiers contrats de mariage avec des familles britanniques.

En matière de sociabilité, l’appartenance à la communauté calviniste pourrait apparaître comme le ciment des migrants huguenots mais les comportements religieux sont très variés. En Suède, l’intégration dans la société luthérienne locale passe souvent par un changement de religion. En 1767, le pasteur de l’Eglise réformée Française note dans l’état des lieux qu’il dresse que Monsieur Bédoire fils est devenu luthérien et que ‘Monsieur Lefebure a presque changé’, alors que ces deux personnages faisaient partie de ses fidèles les plus influents. Cependant, ces négociants qui sont passés au luthéranisme, n’abandonnent pas leur communauté d’origine et continuent à verser régulièrement des subsides à l’Eglise réformée française. Si un certain nombre de fidèles de la seconde, voire de la troisième génération abandonnent totalement leurs convictions calvinistes pour se fondre dans la société suédoise, d’autres restent des membres fidèles de leur communauté de foi. À Copenhague, Reinhard Iselin conserve des contacts suivis avec ses parents de Bâle et fait venir plusieurs de ses coreligionnaires au Danemark, et à sa mort, la plus grande partie de la communauté réformée française suit le cortège funèbre. Á Hambourg, si le Sénat mène une politique tolérante envers les calvinistes, il empêche toute construction d’une église réformée jusqu’en 1785. Les calvinistes de la cité hanséatique doivent se déplacer à Altona pour assister au culte et la ville danoise devient le centre religieux de la diaspora huguenote.

Les offices religieux servent également de lieux de rencontre entre négociants. L'Église réformée de Copenhague a donné naissance à une petite élite investie dans les affaires internationales : ‘ses membres se réunissaient pour le service du dimanche, devenaient les parrains des enfants de la communauté et, dans de nombreux cas, aidaient leurs compatriotes calvinistes à entrer dans la Compagnie Asiatique Danoise et à profiter de toutes les possibilités offertes.’3

  • 3. Benjamin Asmussen, ‘Les calvinistes, Copenhague et la Chine. Un réseau de la Compagnie asiatique danoise au début de la période moderne’, Revue d’Histoire Nordique (vol. 27, 2018), pp. 59-78.

La langue française continue d’être largement pratiquée par cette élite, ce qui ne pose guère de problèmes en raison de la grande francophilie des pays du Nord de l’Europe où les couches supérieures de la société recherchent tout ce qui touche à la France (valet, cuisinière ou gouvernante sont souvent français). À Hambourg, une gouvernante se nomme simplement ‘une française’. En 1775, le journal suédois Dagligt Allehanha signale que ‘les Français ne se rendent à l’Eglise Luthérienne Française que pour pouvoir entendre du français sans se soucier de la religion que l’on y propose’. La circulation des fils de marchands entre les ports d’Allemagne et de France fait partie de toute formation de qualité où le français tient une place importante. À Hambourg, des professeurs français donnent des cours de langue et entretiennent des pensionnats. L’école de commerce, fondée en 1767 et dirigée par le célèbre pédagogue Johann Georg Büsch attire les fils de marchands et d’hommes d’affaires. Outre Alexander von Humboldt l’école reçoit onze français entre 1768 et 1787. À Stockholm dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les enfants peuvent fréquenter les seize cours privés et les quatorze écoles qui enseignent la langue de Molière. Des journaux en français, souvent éphémères, voient le jour dans les différents pays du Refuge. À Hambourg, à la fin du XVIIe siècle, Gabriel d’Artis publie un hebdomadaire culturel, le Journal d’Hambourg, où il présente des comptes-rendus d’ouvrages divers.4  De 1778 à 1772, la Gazette d’Altona diffuse les nouvelles de la communauté huguenote. Les librairies françaises, comme celles d’Etienne, de Jean-Guillaume Firchaux et Pierre-François Fauche, ou les librairies allemandes qui proposent des titres français, participent au multiculturalisme de la ville hanséatique.

  • 4. Myriam Yardeni, Le refuge huguenot. Assimilation et culture (Paris : Honoré Champion, 2002), p. 116.

La communauté négociante d’origine huguenote est totalement intégrée, à la vie sociale hambourgeoise. Plusieurs de ses membres sont représentés dans la première loge maçonnique allemande ‘Absalom’, de même que dans la ‘Société patriotique’. Le salon de la comtesse Charlotte Sophie de Bentinck, amie de Voltaire, est le lieu de rencontre des diplomates français, des négociants huguenots et de l’élite éclairée de la ville. En 1771, Eva König, la fiancée de l’écrivain et dramaturge Gotthold Ephraim Lessing, mentionne une société de lecture française à Hambourg. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, des troupes de théâtres françaises se produisent dans la ville hanséatique et offrent aux habitants, parfois avec un grand succès, des spectacles divers.5

  • 5. Franklin Kopitsch and Ursula Stephan-Kopitsch,’Franzosen in den Hansestädten und in Altona zwischen 1685 und 1789’, in Jean Mondot, Jean-Marie Valentin et Jürgen Voss (eds.), Deutsche in Frankreich - Franzosen in Deutschland 1715-1789 (Sigmaringen : Jan Thorbecke Verlag, 1992), pp. 292-293.

La révocation de l’édit de Nantes en 1685 a provoqué une vague d’immigration huguenote dans les pays du Nord. Si la France a perdu des gens de valeur, ces migrants installés dans les pays protestants ont conservé des liens avec leur patrie d’origine tout en donnant naissance à des réseaux commerciaux internationaux. Ainsi, l’exportation des produits coloniaux qui fait la fortune du commerce français au XVIIIe siècle est en partie due à la communauté huguenote installée dans le Nord.

Ces négociants ont des activités qui touchent tous les pays de l’Europe du Nord. Ils marient leurs enfants aussi bien en Allemagne, qu'en Suisse, en Hollande, en Angleterre ou en France et, les générations passant, s’assimilent plus ou moins dans leurs pays d’accueil tout en formant une communauté supranationale. La révocation de l’édit de Nantes a abouti à la ‘constitution d’une société protestante de souche française rejetée hors des lois du royaume et, pour sa partie la plus agissante, hors de la nationalité française, société véritablement internationale dont les morceaux dispersés, en France et hors de France, étaient tous à des degrés divers étrangers à la société royale qui était la France légale.’6

  • 6. Herbert Lüthy, La banque protestante en France de la révocation de l'édit de Nantes à la Révolution (Paris : SEVPEN, 1959), p. 773.
Citer cet article
POURCHASSE Pierrick, "Huguenots in Northern Europe", Encyclopédie numérique de la sociabilité britannique au cours du long dix-huitième siècle [en ligne], ISSN 2803-2845, Consulté le 13/12/2024, URL: https://www.digitens.org/fr/notices/huguenots-northern-europe.html

Références complémentaires

Augeron, Mickaël, Poton, Didier et Van Ruymbeke, Bertrand, Les Huguenots et l’Atlantique, 2 vols. (Paris : Les Indes savantes – Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2009).

Magdelaine, Michelle et von Thadden, Rudolphe, Le Refuge huguenot (Paris : Armand Colin, 1985).

Pourchasse, Pierrick, ‘Les Huguenots et l’élite négociante scandinave au XVIIIe siècle’, Histoire, Economie & Société (vol. 1, 2010), p. 81-92.

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