Wallpapers

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‘Imitation ‘Print Room’ wallpaper, hung in Doddington Hall, Lincolnshire, , England, colour woodblock print on paper’, © Victoria and Albert Museum, London, Museum no. E.747.1914., about 1760.
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‘Panel of Chinese wallpaper, with a green background on which is painted a purple pot in the foreground’, © Victoria and Albert Museum, London, E.3882-1915, 1775-1825.
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‘Panel of red flock wallpaper’, © Victoria and Albert Museum, London, E.3594-1922, ca. 1735.
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Magasin des modes nouvelles, françaises et anglaises, décrites d'une manière claire & précise, & représentées par des planches en taille-douce, enluminées, paru le 10 mars 1787
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Magasin des modes nouvelles, françaises et anglaises, décrites d'une manière claire & précise, & représentées par des planches en taille-douce, enluminées, paru le 10 mai 1788.
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Richard Bentley, ‘Perspective of the hall & staircase at Strawberry Hill’, The Lewis Walpole Library, Yale University, 1754.

Abstract

À la faveur d’une importation de panneaux peints chinois, la vogue des papiers peints s’installa durablement dans l’Angleterre du 18e siècle. La variété des motifs empruntés à divers domaines reflétait une communauté de goût et de culture entre hôtes et invités dans les intérieurs particuliers et participait ainsi de leur distinction sociale. Dans les modes de décoration, la France et Angleterre s’influencèrent mutuellement via les ‘faiseurs de tendance’ de l’époque et les premiers magazines de mode anglomane. L’exemple de la ‘print room’ illustre une pratique de sociabilité qui, du voyage jusqu’au retour au domicile, permettait la personnalisation de la collection d’estampes et sa diffusion. Horace Walpole fera un usage considérable des papiers peints à Strawberry hill, notamment pour recréer un univers gothique.

À l'origine de l'expansion du papier peint au 18e siècle, en Angleterre puis en France, se trouve l'usage de panneaux peints chinois importés, agrémentés de scènes de genre et de peintures naturalistes (oiseaux, branches et fleurs). Ceux-ci sont des biens de consommation de luxe, très onéreux de par leur rareté, dont la British East India Company fait commerce. Dans un premier temps, seule une clientèle choisie et fortunée peut y avoir accès. Toutefois, cette tendance se démocratise par la rencontre de l'industrie du papier et des techniques d'impressions ornementales qui tendent à se mécaniser.

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‘Panel of Chinese wallpaper, with a green background on which is painted a purple pot in the foreground’, © Victoria and Albert Museum, London, E.3882-1915, 1775-1825.
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‘Panel of Chinese wallpaper, with a green background on which is painted a purple pot in the foreground’, © Victoria and Albert Museum, London, E.3882-1915, 1775-1825.

La décoration intérieure des demeures aristocratiques anglaises du 18e siècle est une pratique constitutive de la sociabilité des élites, en ce qu'elle permet à leurs propriétaires d'afficher une distinction commune avec leurs visiteurs : à ce titre, le papier peint, sujet aux fluctuations des modes et des tendances éphémères, se fait l'indicateur particulier du bon ou du mauvais goût, que l'on peut saisir d'un coup d'œil. C’est au moment où ce bien de consommation de luxe devient plus accessible que le jugement de goût tend à s’exercer, comme le souligne Clare Taylor, dans sa thèse ‘Figured paper for hanging rooms’ : the manufacturer, design and consumption of wallpapers for English domestic interiors, c.1740-c.1800 :

Certain proliferation of choice meant it was more important to differentiate between what was considered acceptable and what was considered ‘false’, and this, I argue, was an aspect of paper hangings that manufacturers were often at pains to highlight in their promotional texts in oppositional terms such as ‘mock’ and ‘original’. Here, taste is not defined as good and bad, rather the positive effects of being able to exercise taste are conveyed in terms such as ‘genteel’ and ‘elegant’.1

En effet, un jeu de reconnaissance mutuelle se met en place dans le choix de ces papiers peints: le bon goût du propriétaire et l'appréciation de ses visiteurs témoignent d'une culture partagée sur ce qui convient ou ne convient pas; le jugement de goût fait et défait les communautés d'appartenance. La diversité des motifs est influencée par l'imitation d'autres artefacts tels que les textiles d'ameublement orientaux (damas et indiennes), les éléments d'architecture reproduits en trompe-l’œil, les Beaux-arts, l'Antiquité, les arabesques, etc. Les motifs étant extrêmement hétérogènes, ils représentent en quelque sorte un vaste spectre de connaissances sur l’art et sur l’histoire antique, sur l’exotisme oriental, auquel le propriétaire a accès et qu’il peut afficher sur ses murs. Par ailleurs, facilement renouvelables et sujets aux modes du jour, donc vite désuets de ce fait, les papiers peints permettent l'expression d'une intériorité singulière, voire excentrique, comme nous le verrons avec Horace Walpole, dans son castelet gothique de Strawberry Hill. Ils permettent en effet de déployer un imaginaire ou d'extérioriser une sensibilité dans un espace privé que l'on peut ouvrir aux personnes de son cercle.

 

  • 1. Clare Taylor, ’Figured Paper for Hanging Rooms’: The manufacture, design and consumption of wallpapers for English domestic interiors, c.1740-c.1800 (PhD thesis, The Open University, 2010)

Les papiers peints floqués

Dans la première moitié du 18e siècle, l'Angleterre met en place une industrie mécanisée d'imitation des premiers papiers peints chinois, et va développer aussi des papiers peints qui imitent des tissus d'ameublement de velours damassés : les papiers peints floqués.

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‘Panel of red flock wallpaper’, © Victoria and Albert Museum, London, E.3594-1922, ca. 1735.
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‘Panel of red flock wallpaper’, © Victoria and Albert Museum, London, E.3594-1922, ca. 1735.

Ceux-ci rencontrent beaucoup de succès dans les années 1740, prolifèrent dans les salons ou dans les chambres à coucher, souvent de couleurs bleus ou cramoisis, et se répandent outre-Manche, où ils sont connus sous le nom de ‘papier d'Angleterre’. On peut lire en 1755 dans L'état des arts en Angleterre par Jean-André Rouquet, sous l'article intitulé ‘De l'architecture’ :

Dans presque toutes les maisons anglaises, chaque pièce, ainsi que l'escalier, est boisée et peinte; ce n'est que depuis quelques années que s'est introduit chez les gens étoffés l'usage de tendre les salles de compagnie et les chambre à lits. Cet usage est devenu encore plus général depuis la facilité qu'il y a d'acquérir des tentures à un prix très modique; ces tentures nouvelles sont du papier teint et verni, sur lequel on applique des tontures de draps en différents dessins, à l'imitation du velours d'Utrecht, mais d'un effet plus brillant et plus léger.2

Ces papiers peints floqués auraient été introduits à Paris par Lord Albermarle en 1753. Ambassadeur d'Angleterre en France, il en répand la mode, à la faveur de l'anglomanie ambiante, en tapissant les murs de son hôtel particulier à Passy, où il reçoit les visiteurs les plus choisis de la capitale. Il sera du dernier bon ton d'imiter la décoration de ses salons.

La France ne demeure pas en reste dans son industrie de papiers peints, une cinquantaine de manufactures sont recensées à la veille de la révolution. L'émulation joue pleinement avec son illustre rivale, tant et si bien qu'à son tour, elle l'influence. Le motif de l'arabesque, que l'on connait depuis le décor à la Renaissance des Loges du Vatican par Raphaël, va se répandre dans les salons en Angleterre vers 1780. Ce motif était prisé à l’époque de la Renaissance, après la découverte archéologique de la Domus aurea de Néron à Rome.

Après avoir mis à l’honneur l’année précédente une chambre à coucher tendue de papiers veloutés damassés, qui appartenait à la Comtesse de…, le ‘Magasin des modes nouvelles françaises et anglaises’ du 10 mai 1788, présente une double-page illustrée d'un salon tendu de papiers peints au motif de l'arabesque :

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Magasin des modes nouvelles, françaises et anglaises, décrites d'une manière claire & précise, & représentées par des planches en taille-douce, enluminées, paru le 10 mars 1787
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Magasin des modes nouvelles, françaises et anglaises, décrites d'une manière claire & précise, & représentées par des planches en taille-douce, enluminées, paru le 10 mars 1787
  • 2. Jean André Rouquet, L'état des arts, en Angleterre (Paris : Antoine Jombert, 1755)

Depuis déjà longtemps il n'y a plus guère que les papiers avec dessins arabesques qui servent à Paris, de tentures pour les salons, surtout pour les petits salons, ou pour les salons d'été. Les salons d'hiver et les grands salons se tendent en damas, et souvent de belles tapisseries. Pourquoi a-t-on choisi les dessins arabesques, plutôt que les grands dessins? C'est sans doute parce qu'ils sont plus légers et plus déliés à la vue ; qu'ils sont mieux faits, mieux concis ; qu'ils peuvent être unis ou divisés à sa fantaisie, sans grand peine, et être mis facilement dans des cadres auxquels on donne la proportion que l'on veut leur donner.3

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Magasin des modes nouvelles, françaises et anglaises, décrites d'une manière claire & précise, & représentées par des planches en taille-douce, enluminées, paru le 10 mai 1788.
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Magasin des modes nouvelles, françaises et anglaises, décrites d'une manière claire & précise, & représentées par des planches en taille-douce, enluminées, paru le 10 mai 1788.

Le ‘Magasin des modes nouvelles françaises et anglaises’, premier magazine de mode avant la lettre qui faisait suite au ‘Cabinet des modes’, avait modifié son titre pour rendre hommage au magazine anglais ‘Fashionable magazine’, publié à Londres, qui l’avait lui-même cité l’année précédente, en 1785.  C’est dire si les modes de part et d’autre de la Manche étaient scrutées avec attention. Si l’anglomanie faisait rage à Paris, le cosmopolitisme londonien faisait la part belle aux modes parisiennes.

 

  • 3. Extrait de Magasin des modes nouvelles françaises et anglaises, 18 mai 1788.

Les ‘Print rooms’

Une pratique de sociabilité typiquement britannique se développa à partir des panneaux peints chinois : la ‘print room’. Le fait de disposer et d’encadrer avec des éléments de stuc des panneaux peints à même les murs d’une pièce prolongeait la pratique des albums personnalisés d’estampes, et donnait lieu à des moments tels que représentés dans les ‘conversation pieces’, des moments d’échanges informels et raffinés autour de la contemplation esthétique d’œuvres d’art, agencées par le ou la maîtresse de maison. Horace Walpole mentionne dans l’une de ses lettres le projet qu’il a lui-même de réaliser l’une de ces ‘print rooms’, à l’instar de celle réalisée par Lord Cardigan.4  En 1742, Mary, Comtesse de Cardigan acheta 88 ‘Indian pictures’ et demanda au décorateur Benjamin Goodison de les coller sur les murs de la salle de réception dans une disposition heureuse, très certainement à Montagu House, Richmond.5

À l’époque contemporaine du Grand Tour, cette pratique rencontra un certain succès : il était d'usage lors du Grand Tour, traversée de l'Europe entreprise par les jeunes aristocrates pour parfaire leur éducation culturelle, de rapporter des estampes reproduisant des Antiquités liées aux dernières découvertes archéologiques ou encore de rapporter des ‘vues’ gravées des cités traversées. Au retour de ce voyage, une pièce était dédiée à ces estampes, la ‘print room’, où elles étaient collées à même un papier peint au coloris uni, ornées de cadre de stuc, selon une disposition particulière à leur propriétaire. Bien souvent, selon une division des tâches liées aux genres, les estampes étaient confiées aux sœurs, mères ou épouses, plus impliquées dans la décoration domestique.

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‘Imitation ‘Print Room’ wallpaper, hung in Doddington Hall, Lincolnshire, , England, colour woodblock print on paper’, © Victoria and Albert Museum, London, Museum no. E.747.1914., about 1760.
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‘Imitation ‘Print Room’ wallpaper, hung in Doddington Hall, Lincolnshire, , England, colour woodblock print on paper’, © Victoria and Albert Museum, London, Museum no. E.747.1914., about 1760.

L’échantillon de papier peint ci-dessus figure un ready-made de print room. C’est un papier peint qui a été employé dans le cadre de la nouvelle décoration de Doddington Hall par Sir John Hussey Delaval dans les années 1760. On y trouve des scènes galantes roccoco, ainsi que des ‘fabriques de jardin’, imitation de ruines pittoresques, propres aux jardins anglo-chinois.

 

  • 4. Lettre de Horace Walpole à Horace Mann, le 12 juin 1753 : ‘The room on the ground floor nearest to you is a bedchamber, hung with yellow paper and prints, framed in a new manner invented by Lord Cardigan, that is, with black and white borders.’ The Letters of Horace Walpole, Earl of Oxford (Philadelphia: Lean and Blanchard, 1842), vol. 2, p. 171.
  • 5. Emile de Bruijn, Chinese wallpapers in Britain and Ireland (London: Philip Wilson publishers, 2017), p. 36.

Description de la Villa de Strawberry Hill

La considération des ruines et des Antiquités grecques et romaines, notamment en Italie au cours du Grand Tour, amena les jeunes aristocrates anglais à se pencher sur leur propre patrimoine national de vestiges. C'est ainsi que Horace Walpole se trouva être dès les années 1740 l'un des initiateurs du renouveau gothique. Fort de son érudition, de son intérêt pour le Moyen Âge anglo-saxon et pour les arts médiévaux, de l'architecture religieuse aux monuments mortuaires, il décida de constituer un ‘comité du goût’ avec ses amis John Chute et Richard Bentley afin de rénover dans une tonalité gothique un petit manoir acquis dans les environs de Twickenham et rebaptisé Strawberry Hill. La décoration intérieure devait être aussi rigoureusement choisie afin d'abriter une sorte de cabinet de curiosités dédié à cette ferveur gothique, la tonalité volontairement lugubre et obscure mettant en valeur l'illumination des objets collectionnés. L'inventaire de la décoration intérieure des pièces, ainsi que toute la collection, est méticuleusement décrite dans A Description of the Villa of Mr Horace Walpole, at Strawberry Hill, near Twickenham.6

On peut juger, d’après le titre donné à chacune des pièces, du rôle primordial des papiers peints: the ‘yellow bedchamber’, the ‘green closet’, the ‘blue bedchamber’, etc. Les papiers peints colorés servent de toiles de fond pour la collection d’estampes et autres objets inventoriés dans la description de la villa. Le choix des papiers peints concourt largement à l'édification de cet écrin gothique. On y trouve de larges passages consacrés à ce choix dans la correspondance de Horace Walpole, notamment concernant le fameux hall, où la cage d’escalier est censée donner l'impression au visiteur de se trouver au sein du caveau du Prince Arthur dans la cathédrale de Worcester.

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Richard Bentley, ‘Perspective of the hall & staircase at Strawberry Hill’, The Lewis Walpole Library, Yale University, 1754.
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Richard Bentley, ‘Perspective of the hall & staircase at Strawberry Hill’, The Lewis Walpole Library, Yale University, 1754.
  • 6. Horace Walpole, A description of the villa of Horace Walpole at Strawberry near Twickenham (Strawberry-Hill: Thomas Kirgate, 1774).

Le 12 juin 1753, Horace Walpole écrit à Horace Mann :

Franchissant ensuite deux arches lugubres, l’on en vient au hall et à cet escalier qui ne peut se décrire, tant c’est la chose la plus curieuse en même temps que la plus belle du château. Imaginez des murs recouverts de papier découpé (je dis du papier, il s’agit en fait d’une peinture en perspective évoquant des croisées d’ogives) […].7

Dans ce papier mural peint en perspective, l’imitation des arcs brisés, des nervures et des découpures gothiques suggèrent une certaine profondeur ; il s’agit d’un véritable trompe-l’œil architectural. Le papier peint ouvre l’espace de l’imaginaire gothique de Horace Walpole, permettant de ressusciter sur les murs de sa villa l’effigie de ruines médiévales. C’est d’ailleurs ce même hall qui inspirera en partie la fantasmagorie à l’origine du premier roman gothique, Le Château d’Otrante, qu’Horace Walpole écrira en 1764.

Contre toute attente, on peut prêter des vertus de sociabilité à cette fancy anglaise, même sur les chemins tortueux et obscurs de l’imaginaire gothique : ce monde fantasque requiert en effet la participation émotionnelle des visiteurs. Le papier peint, sujet à toutes les imitations, à moindre frais, offre sa plasticité à la fantasmagorie gothique.​

  • 7. Alan Victor Sugden and John Ludlam Edmondson, A History of English Wallpaper 1509-1914 (New-York & London: B.T. Batsford, 1926), p. 72.
Cite this article
BREUIL Isabelle, "Wallpapers ", The Digital Encyclopedia of British Sociability in the Long Eighteenth Century [online], ISSN 2803-2845, Accessed on 04/15/2024, URL: https://www.digitens.org/en/notices/wallpapers.html

Further Reading

Breuil, Isabelle, ‘'Murs de papier', La collection de papiers peints du 18e siècle dans Gallica', Le Blog Gallica, 14 mars 2019,  https://gallica.bnf.fr/blog/14032019/murs-de-papier-la-collection-de-papiers-peints-du-18eme-siecle-dans-gallica-historique-1?mode=desktop.

Clark, Kenneth, The Gothic Revival: an Essay in the History of Taste (Harmondsworth: Penguin, 1964).

de Bruijn, Emile, Chinese wallpapers in Britain and Ireland (London: Philip Wilson publishers, 2017).

Taylor, Clare, The Design, Production and Reception of Eighteenth-Century Wallpaper in Britain (New-York: Routledge, 2018).

Velut, Christine, Murs de papier. L’atelier du papier peint 1798/1805 (Paris : BnF éditions, 2018).

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