Société Olympique (and its concert)

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Dorgez [ou Dorgès], ‘Salle de Concert de la Société Olympique dans les Vues de Paris’, Musée Carnavalet d’histoire de Paris, Estampe à l’eau forte, G. 11756, [s. d.].

Abstract

Cette notice sur la Société Olympique, dont le concert fut en activité à Paris de 1786 à 1789, a pour objectif de présenter la particularité de cette institution musicale parisienne entièrement financée par une organisation maçonnique. Cette singularité réside également dans la place et le rôle qu’ont joués les femmes affiliées à la loge d’adoption, notamment dans la mutation des pratiques de sociabilité maçonnique au contact des codes de l’aristocratie. En effet, lorsque la sociabilité maçonnique se conjugue à l’établissement d’un concert mondain, elle ne se décline plus qu’au masculin.

Le Concert de la Loge Olympique, qui fut en activité sous ce nom à Paris de 1786 à 1789, était un orchestre associé à la Société Olympique, une organisation maçonnique fille de la loge L’Olympique de la Parfaite Estime, elle-même fondée en 1779 par la Loge Écossaise du Contrat Social. Les origines de la Société Olympique et de son concert remontent au début des années 1780, au moment où le Concert des Amateurs fait faillite. Cet orchestre avait la vocation de rassembler sur scène des musiciens amateurs et professionnels et était entièrement financé par des fonds privés qui prenaient la forme de dons et de souscriptions annuelles, ce qui le distinguait des autres organisations musicales de l’époque. Dans les années qui suivirent la faillite de ce concert, le comte d’Ogny1 et le fermier général Étienne-Marie de La Haye des Fosses,2 tous deux fils d’anciens financiers du Concert des Amateurs, mettent sur pied une société de musique dotée de la même vocation que le défunt concert, c’est-à-dire de réunir sur scène des musiciens amateurs et professionnels. Ce nouveau concert, qui récupère par ailleurs une part significative du répertoire du Concert des Amateurs, s’établit vers 1782 dans la Salle du Contrat Social, située à l’Hôtel de Bullion.3 On appelle alors ce concert le ‘Concert Olympique’, en référence à l’institution maçonnique à laquelle il se rattache, soit la Société Olympique.

  • 1. Claude-François-Marie Rigoley, comte d’Ogny (1765-1790), musicien amateur, intendant général des postes et co-fondateur du Concert de la Loge Olympique.
  • 2. Étienne-Marie de La Haye des Fosses, (1736-1790), fermier général et co-fondateur du Concert de la Loge Olympique.
  • 3. Une des hypothèses plausibles pour le choix de ce nom de salle serait le lien entre la loge L’Olympique de la Parfaite Estime et la loge Saint-Jean d’Écosse du Contrat Social, qui possède l’hôtel de Bullion depuis 1779.

Tout comme le Concert des Amateurs, le Concert de la Loge Olympique se distingue des autres concerts de l’époque en raison de son mode de financement par souscription. Toutefois, dans le cas du Concert de la Loge Olympique, ces souscriptions représentent l’abonnement annuel des francs-maçons affiliés à la Société Olympique, ainsi que celui des franc-maçonnes affiliées à la loge d’adoption, c’est-à-dire une sous-organisation au sein même de la société qui rassemble uniquement des femmes initiées à la franc-maçonnerie, identifiées comme ‘sœurs’. En plus de permettre l’accès à la programmation musicale du Concert de la Loge Olympique, cet abonnement leur permet de fréquenter le Sallon Olympique, où se pratique des formes de sociabilité qui délaissent les travaux maçonniques au profit d’une sociabilité plus proche de celle que l’on observe dans les clubs et autres petites sociétés qui se multiplient à Paris dans la décennie prérévolutionnaire. Ce sont précisément ces présences féminines au sein de la Société Olympique qui s’avèrent être l’indice d’un glissement de la sociabilité maçonnique vers des pratiques de sociabilité mondaine, caractéristique de ce que Pierre-Yves Beaurepaire appelle la 'maçonnerie de société'.4 Les femmes, qui reconduisent les codes de l’aristocratie dans leur pratique de sociabilité, apparaissent alors garantes du succès de cette maçonnerie de société, qui s’avère prisée par l’élite qui fréquente la loge et son concert.

  • 4. Pierre-Yves Beaurepaire, L’espace des francs-maçons : une sociabilité européenne au XVIIIe siècle (Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2003).

Le Concert, le Sallon et la Maçonnerie

En 1784, les fondateurs du Concert de la Loge Olympique décident de quitter l’hôtel de Bullion où ils sont installés depuis quelques années. Le concert s’installe alors au Palais des Tuileries, dans la salle des Cent-suisses, alors que la Société Olympique se loge au Palais Royal. On reconnaît ici une volonté de distinguer, sur le plan géographique, les activités musicales du Concert de la Loge Olympique des travaux maçonniques de la Société Olympique, permettant aux individus qui fréquentent ces espaces de diversifier leurs pratiques de sociabilité au sein d’une même organisation. Toutefois, ce ne sont pas que les locaux réservés aux travaux maçonniques qui emménagent sous les arcades du Palais Royal. On y retrouve également l’espace réservé aux activités du Sallon Olympique. Ainsi, le club occupe le premier étage, alors que les locaux réservés à la franc-maçonnerie se retrouvent au deuxième : ‘résultat, trois modèles de sociabilité sont offerts aux membres de la Société Olympique, depuis deux lieux différents. La sociabilité maçonnique rencontre la sociabilité mondaine sous les arcades du Palais Royal, alors que les pratiques de sociabilité musicale opèrent dans l’enceinte des Tuileries'.5

  • 5. Camille Payeur, Femmes, musique et franc-maçonnerie à la Société Olympique. Enquête sur la sociabilité maçonnique et musicale parisienne à l’aube de la Révolution française, (mémoire de maîtrise en histoire, Université du Québec à Montréal, 2022), p. 75.

Contrairement au fonctionnement du Concert des Amateurs, le financement du Concert de la Loge Olympique provient des abonnements des francs-maçons et des franc-maçonnes affiliés à la Société Olympique. Cette réalité permet de reconstituer le public du Concert de la Loge Olympique pour les années 1786 et 1788, années pour lesquelles nous conservons des exemplaires des tableaux des membres de la Société Olympique. En plus de nous renseigner sur les souscripteurs et par conséquent, sur la composition du public, ces annuaires nous fournissent également des informations sur les musiciens qui performent au sein de l’orchestre, eux aussi affiliés à la Société Olympique. Le tableau des membres pour l’année 1786 nous indique qu’au moment de la première représentation officielle de ce concert le 11 janvier 1786, 595 francs-maçons sont membres de la Société Olympique et par conséquent, participent au financement du concert par l’entremise de leur souscription annuelle.6 Sur la totalité de ces souscriptions, 155 représentent des affiliations féminines au sein de la loge d’adoption (26,05%) et 440 hommes se retrouvent dans la loge régulière (73,95%). Deux années plus tard, en 1788, le tableau des membres7  recense 239 femmes membres de la loge d’adoption sur un total de 686 affiliations à la Société Olympique, témoignant d’une augmentation significative de la présence des femmes dans toutes les branches de l’organisation. En comparant les annuaires des membres de 1786 et 1788, on remarque que la loge régulière comprend seulement 447 hommes en 1788, dont 231 étaient déjà initiés en 1786. Ainsi, le poids numérique des hommes chute à 65% en 1788, alors que celui des femmes représente 35% des affiliations et par conséquent, des souscriptions au Concert de la Loge Olympique et de la population qui fréquente le Sallon.

  • 6. Tableau d’architecture de la Société Olympique pour l’année 1786, INHA, Paris, Bibliothèque de l'Institut National d'Histoire de l'Art, Collections Jacques Doucet, 12 Res 1365, 80p.
  • 7. ‘Tableau des membres qui composent la R∴L∴ de la parfaite-estime et Société Olympique avec leurs qualités civiles et demeures’, dans Paris. Parfaite Estime & Sté Olympiq. Tableau 1788, Bibliothèque Nationale de France, Fonds Baylot, Fm2 153.

Le paradoxe entre privé et public

Au XVIIIe siècle, les femmes ne sont pas étrangères aux pratiques de sociabilité mondaine. Au contraire, à l’époque, la rencontre des élites se fait régulièrement dans les salons tenus par des femmes.8 De ce fait, dans le contexte où la Société Olympique se dote d’un club et d’un concert, il n’est pas surprenant d’y retrouver également une tenue d’adoption. Au contact des femmes, l’offre de divertissements mondains s’élargit et l’attrait de l’organisation augmente parmi l’élite. Cette attractivité ne va pas de pairs avec le caractère secret associé à la franc-maçonnerie. Toutefois, le paradoxe entre l’hermétisme d’un groupe et son ambition de s’épanouir dans le monde est typique de la franc-maçonnerie des Lumières. C’est d’ailleurs dans cette tension entre fermeture et ouverture, entre sacré et profane, que s’observe les logiques du glissement de la franc-maçonnerie vers la sociabilité mondaine. En se dotant d’un concert, la Société Olympique s’inscrit dans ce paradoxe entre privé et public. En effet, le rite maçonnique oblige chaque individu souhaitant prendre part à la programmation musicale du Concert de la Loge Olympique à s’initier à la franc-maçonnerie. Cette initiation requiert d’être introduit par un membre déjà initié et par conséquent, résulte essentiellement de logiques de réseautage. Cela s’avère également effectif pour les musiciens qui performent au sein du concert, révélant des stratégies de patronage musical au niveau de l’adhésion en loge. Ici, l’initiation à la franc-maçonnerie assure la qualité des personnalités qui fréquente la Société Olympique. L’exclusivité de ses membres et la nécessité du recours au réseautage pour parvenir à l’initiation contrastent avec la renommée du Concert de la Loge Olympique à la fin du XVIIIe siècle. En effet, à cette époque, Joseph Haydn compose les symphonies nos 82 à 87 spécialement pour la Société Olympique, œuvres que l’on appelle encore aujourd’hui les ‘Symphonies parisiennes’.

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Joseph Haydn, ‘Page de titre du conducteur des Symphonies parisiennes’, Gallica (BnF), Imprimé à Paris : chez Imbault, FRBNF39786529, 1788, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9063387v.r=Haydn%2C%20Joseph
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Joseph Haydn, ‘Page de titre du conducteur des Symphonies parisiennes’, Gallica (BnF), Imprimé à Paris : chez Imbault, FRBNF39786529, 1788.
  • 8. Antoine Lilti, ‘Sociabilité mondaine, sociabilité des élites ? Les salons parisiens dans la seconde moitié du XVIIIe siècle’, Hypothèses, (vol. 4, n°1, 2001), pp. 99-107.

La tenue d’adoption comme garante du succès de la maçonnerie de société

En diversifiant son calendrier événementiel, la Société Olympique répond à la demande sociale des individus qui s’y rassemblent. Les travaux maçonniques sont progressivement délaissés au profit des divertissements offerts par le Concert et le Sallon, comme en témoigne le peu de membres de la Société Olympique qui dépassent le grade d’apprentis. En effet, en 1786, seulement 4,40% des membres de la Société Olympique poursuivent leurs travaux maçonniques au-delà du grade d’apprenti. Cette proportion chute à 3,80% en 1788. De ce fait, ce qui motive véritablement l’adhésion à la Société Olympique, c’est la possibilité de fréquenter le Sallon et le Concert de la Loge Olympique, donc les espaces de sociabilité qu’elle met à la disposition de ses membres. Longtemps, l’historiographie a tenu à l’écart la création des ateliers d’adoption et leurs effets sur la mutation des pratiques de sociabilité maçonnique au contact de l’élite. En ce qui concerne la Société Olympique, l’hypothèse privilégiée pour rendre compte de cette transformation des pratiques de sociabilité fut celle de l’attrait que cette organisation exerçait en regard des dignités étrangères de passage à Paris.9 Cette vision est incomplète, car elle occulte la deuxième partie de l’annuaire des membres pour les années 1786 et 1788, soit les sections réservées aux femmes membres de la loge d’adoption. De fait, cette hypothèse ne se base que sur une partie des effectifs recensés dans ces annuaires en ne considérant que l’affiliation, et par conséquent la souscription au concert, des hommes membres de la loge régulière. Pourtant, lorsque l’on s’intéresse au renouvellement des membres de la Société Olympique entre 1786 et 1788, on observe que près de 80% de ce renouvellement représente de nouvelles affiliations au sein de la loge d’adoption. Ces chiffres suggèrent que l’attrait de la Société Olympique et de ses composantes s’exerce principalement sur les femmes, ce que confirme la section du Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris qui mentionne la Société Olympique : ‘Son but principal est de cultiver la musique, et de donner d’excellents concerts, […] ces concerts sont d’autant plus agréables, que bien de personnes du sexe, de la plus grande considération, n’ont point dédaigné d’y chanter, ou d’y exécuter des morceaux de musique instrumentale'.10 Ainsi, les activités proposées par la Société Olympique attirent plusieurs femmes au sein de l’organisation, faisant de ces dernières des variables essentielles du glissement constaté de la sociabilité maçonnique vers une sociabilité mondaine au contact de l’élite.

  • 9. Pierre Chevallier, ‘Nouvelles lumières sur la Société Olympique’, Dix-huitième siècle, (n° 19, 1987), p. 138.
  • 10. Luc-Vincent Thiéry, Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris, ou Description raisonnée de cette ville, de sa banlieue, & de tout ce qu’elles contiennent de remarquable, T. 1, Paris, chez Hardouin & Gattey, libraires de S. A. S. madame la duchesse d’Orléans, au Palais Royal, sous les arcades à gauche, n° 13-14, 1787, p. 278-279.

En somme, la Société Olympique et son concert s’inscrivent à la frontière entre ce qui relève de la sphère privée et ce qui appartient au domaine public. En effet, le Concert de la Loge Olympique jouit dans la décennie prérévolutionnaire d’une renommée à l’échelle de l’Europe, comme en témoigne les Symphonies parisiennes composées spécialement par Joseph Haydn pour ce concert. Toutefois, les performances de ce concert sont réservées à un public restreint, composé pour la majorité d’individus issus de l’élite franc-maçonne parisienne. C’est par ailleurs la grande particularité du Concert de la Loge Olympique en regard des autres sociétés de musique à l’époque que d’être financée par les souscriptions annuelles de francs-maçons. Le fonctionnement pour être admis au sein de cette organisation est intime, relevant d’une logique de parrainage qui nécessite de faire partie du réseau d’un membre préalablement initié.

Cette ambiguïté entre fermeture et ouverture sur le monde est typique de la maçonnerie de société dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cette forme de maçonnerie, qui délaisse tranquillement les travaux maçonniques au profit d’autres activités mondaines, ne peut se passer des présences féminines initiées au sein des loges d’adoption. Conforme à ce modèle de sociabilité, la Société Olympique voit ses effectifs se renouvelés principalement au sein de la loge d’adoption entre 1786 et 1788. Leur poids numérique grandissant au sein de la Société Olympique fait en sorte que le calendrier événementiel de l’organisation se diversifie afin d’offrir des divertissements plus près de ceux que l’on retrouve dans les autres espaces de sociabilité fréquentés par les femmes. De fait, les femmes apparaissent comme les protagonistes d’une transformation des pratiques de sociabilité maçonnique vers des pratiques de sociabilité mondaine. Cette maçonnerie de société véhicule les codes de l’aristocratie à l’intérieur de l’univers clos du Temple maçonnique, désormais garant de la qualité sociale et de l’exclusivité des individus qui s’y rassemblent.

Cite this article
PAYEUR Camille, "Société Olympique (and its concert)", The Digital Encyclopedia of British Sociability in the Long Eighteenth Century [online], ISSN 2803-2845, Accessed on 05/17/2024, URL: https://www.digitens.org/en/notices/societe-olympique-and-its-concert.html

Further Reading

Beaurepaire, Pierre-Yves. L’espace des francs-maçons : une sociabilité européenne au XVIIIe siècle (Rennes : Prennes universitaires de Rennes, 2003).

Beaurepaire, Pierre-Yves. ‘La franc-maçonnerie, observatoire des trajectoires et des dynamiques sociales au 18e siècle’, Dix-huitième siècle (n° 37, 2005), p. 17-30.

Chevallier, Pierre. ‘Nouvelles lumières sur la Société Olympique’, Dix-huitième siècle (n° 19, 1987), p. 135-147.

Hennebelle, David. De Lully à Mozart. Aristocratie, musique et musiciens à Paris (XVIIe -XVIIIe siècles) (Paris : Champ Vallon, 2009).

Payeur, Camille. Femmes, musique et franc-maçonnerie à la Société Olympique : enquête sur la sociabilité maçonnique et musicale parisienne à l’aube de la Révolution française (Mémoire de maîtrise en histoire, Université du Québec à Montréal, 2022).

Quoy-Bodin, Jean-Luc. ‘L’orchestre de la Société Olympique en 1786’, Revue française de musicologie (vol. 70, n° 1, 1984), p. 95-107.