Réciprocité (1788)

Restif de La Bretonne, Nicolas Edme
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‘Nicolas-Edme Rétif’, Wikimedia Commons, 1785. Portrait gravé d'après Louis Binet (delineavit), 1785. Publié dans Restif de la Bretonne, La Découverte Australe... Leipzig et Paris, 1781 (?). Vente Sotheby's à Paris, 8 novembre 2011, N°46. bibliothèque R.

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"FAIS CE QUE TU VOUDRAIS QU'ON TE FÎT : NE FAIS PAS CE QUE TU SERAIS FACHÉ QU'ON T'EUT FAIT."

RECIPROCITE.

La base de notre morale n'est pas notre religion, quelque belle et quelqu'utile qu'elle soit: La raison en est simple; c'est que la grande religion des Sages, dont je vous ai montré la source dans notre physique, est trop pure pour le Peuple, et qu'elle serait sans effet sur lui: quant à la religion superfticieuse, elle n'est pas une base assés forte: Nous n'avons donc presenté au Peuple, ét même à nos Sages, qu'une seule base à la morale mais elle est extrêmement solide; c'est la Reciprocité. En-effet, à-moins d'être fou, l'on ne peut se refuser à cette grande ét belle verité: FAIS CE QUE TU VOUDRAIS QU'ON TE FÎT : NE FAIS PAS CE QUE TU SERAIS FACHÉ QU'ON T'EUT FAIT. Dès l'enfance, nous parlons à nos Elèves de la reciprocité; nous la leur fesons continuellement sentir. S'il arrivait qu'un Enfant eût fait quelque chose de mal (ce qui est très-ordinaire en Egypte, où la Nature humaine semble se rapprocher beaucoup de celle du Singe par la malice), l'Instituteur a le plus grand soin, que le mal qu'il a fait, retombe naturellement sur lui, sans que la main de l'Homme se fasse voir. Si l'Enfant, aucontraire a fait une bonne action, le Maître a la plûs grande attention, que la recompense soit immanquable. Il fuit de-là, que les Enfans voient continuellement une Providence qui les observe, en attendant qu'ils soient assés philosophes, pour sentir les effets naturels de la reciprocité. Nous fesons consister nous-autres hommes faits, toute la morale relative dans cette même reciprocité: non-seulement Aucun de nous ne se permet de faire ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui fît; mais il sème continuellement ses bienfaits sur les Autres, comme sur un champ fertile qui doit produire au centuple: Et vous sentez combien, avec nos principes, ce champ doit effectivement rapporter ! Vous en aurez des preuves, pendant notre sejour ici. Tous les Prêtres d'Am ét de Phallos, les Shoen ét les Shotim, font continuellement du bien aux autres Hommes; c'est-à-dire, qu'ils font justes; car ils rendent ét previennent; on leur rend ét on les prévient sans-cesse: Et voila le seul moyen d'être heureux pendant cette courte existance individuelle, ét celui de preparer le bonheur des Existances futures; car nous serons hommes sur la Terre, tant que notre Planète produira des Hommes; ensuite nous serons hommes dans notre Soleil, où nous aurons une existance plûs parfaite: puis, quand notre Soleil fera absorbé par Thot, nous serons hommes dans Thot, c'est-à-dire, incomparablement plus parfaits Enfuite renvoyés par Thot dans les Soleils, nous repasserons sur une Comète, sur une Planète, ét nous recommencerons ainsi éternellement. Telle la Crisalide est ver dabord, ensuite Papillon brillant: Tout est type, tout est symbole dans la Nature. Fesons donc le bien, par la reciprocité, puisque nous ne pouvons le faire sans travailler pour nous-mêmes: nous serons, ét nous serons toujours; nous sommes immortels, comme la Nature ; mais nous changeons sans cesse, ét comme elle, nous roulons dans le fleuve immense des metamorphoses.

Ainfi, la reciprocité a des effets, qui non-seulement occasionnent le reflux de la bonne-volonté des Autres sur nous, mais encore notre bienveuillance reflue sur nous-mêmes: Tout ce que nous fesons aujourdhui pour la Posterité, en bâtissant des villes, plantant des arbres; ét au moral, en fesant d'utiles decouvertes, en promulguant de bonnes-loix, en propageant les lumières, nous le fesons non-feulement pour nos Enfans, sortis de nous, ét prolongation de notre exiftance, mais pour nous-mêmes:

Car nos Sages pretendent, que les Honmes renaissent non-seulement des debris des Hommes, comme les Plantes renaissent des debris des Plantes, mais encore que les Individus de telle Famille renaissent sans-cesse des mêmes Individus: Pourvu neanmoins, qu'autant qu'il est poffible, on se remarie avec ses Parentes, ét qu'on ne change pas de lieu. C'est-pourquoi, il est louable chés nous d'épouser sa Sœur, ou sa Cousine-germaine, ainsi que chés les Arabes ét les Perses: Il eft ordonné, par cette raison, chés les Indiens, de se marier dans sa Caste, ét de n'en pas fortir: Il est ordonné, dans notre pays, ét dans tous ceux qui sont bien policés, de rester dans sa Patrie, ét mourir en exil, est le plùs grand des malheurs ; c'est une double mort: Vous avez aussi cette idée, vous autres Grecs, mais elle n'a qu'un fondement superficiel; c'est pour avoir la sepulture, ét passer la barque du Nocher du Lac Moris; vous n'étendez pas vos idées plus loin: Aulieu que parmi nous, ét chés les Peuples que je vous ai nommés, c'est pour que nos Parties materielles ét intellectuelles, dissoutes par la mort, se reünissent pour concourir à la formation de nos Defcendans, ét à notre reproduction en eux. Nous regardons, en-confequence, le celibat, comme un grand crime! ét la sterilité relative des Femmes, ou l'impuissance des Hommes (si elle existe), comme un grand malheur ! nous defendons qu'un mariage sterile puisse subsister; nous voulons que la Femme non-feconde passe d'un Homme à un Autre, jusqu'à ce qu'elle foit fecondée, ou qu'il foit prouvé qu'elle ne peut l'être mais le cas n'est encore jamais arrivé; toujours l'Homme pretendu impuissant, de son côté, la Femme crue sterile, du sien, ont eu des Enfans, lorsqu'ils ont trouvé l'Etre, qui était leur vraie moitié fisique. Lycurgue l'a fait à Sparte- (dit Epimenide).

Nous savons que l'Espèce-humaine ne peut être excessivement multipliée, ét qu'elle a un terme mais nous savons aussi, que si la vie est un bien, c'est surtout pour l'Etre intelligent, ét que nous ne pouvons mieux faire, que d'employer tout notre pouvoir à donner la vie aux molecules qui ont composé des Hommes: c'est faire revivre tout le Genre-humain, autant qu'il est en nous, c'est assurer notre renaissance, si nous parvenons, en inculquant ces maximes, à persuader aux Hommes futurs de les suivre. Nous serons au nombre de ces Hommes futurs ; ils doivent nous interesser.

Sources

Restif de La Bretonne, Les nuits de Paris, ou le Spectateur-nocturne. ... Paris: chés les libraires nommés en tête du catalogue, 1788, vol. 3, p. 511-516. Transcription by Alain Kerhervé. Full text in ECCO.