On her social practices (1792-1820)

Roland, Manon
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Manon Roland, portrait au physionotrace, Edme Quenedey, circa 1790, Bibliothèque Nationale de France.

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"Je n'eus donc ni cercles ni visites ; c'était d'abord du temps de gagné, chose inappréciable quand on a quelque moyen de l'employer. Deux fois la semaine seulement je donnais à dîner."

Au second ministère de Roland, comme au premier, je m'étais imposé de ne recevoir aucune femme, et j'ai suivi scrupuleusement cette règle.

 Jamais mon cercle n'a été fort étendu, et jamais les femmes n'en ont composé la plus grande partie. Après mes plus proches parens, je ne voyais que les personnes dont les goûts et les travaux intéressaient mon mari. Je sentis qu'au ministère je serais exposée à un entourage fort incommode, qui même aurait ses dangers ; je trouvai que Madame Pétion avait pris à la mairie un parti fort sage, et j'estimai qu'il était aussi louable d'imiter un bon exemple que de le donner. Je n'eus donc ni cercle, ni visite ; c’était d'abord du temps de gagné, chose inappréciable quand on a quelque moyen de l'employer. Deux fois la semaine seulement je donnais à dîner : l'une aux collègues de mon mari avec lesquels se trouvaient quelques députés ; l'autre à diverses personnes, soit députés, soit premiers commis des bureaux, soit enfin de telles autres jetées dans les affaires, ou occupées de la chose publique. Le goût et la propreté régnaient sur ma table sans profusion, et le luxe des ornements n'y parut jamais ; on y était à l’aise, sans y consacrer beaucoup de temps, parce que je n'y faisais faire qu’un service, et que je n'abandonnais à personne le soin d'en faire les honneurs. Quinze couverts étaient le nombre ordinaire des convives, qui ont été rarement dix-huit, et une seule fois vingt.

Tels furent les repas que les orateurs populaires traduisirent à la tribune des Jacobins en festins somptueux, où, nouvelle Circé, je corrompais tous ceux qui avaient le malheur de s'y asseoir. Après le dîner, on causait quelque temps au salon, et chacun retournait à ses affaires. On se mettait à table vers cinq heures, à neuf il n'y avait plus personne chez moi : voilà ce qu'était cette cour dont on me faisait la reine, ce foyer de conspiration à battans ouverts.

Sources

Text: Manon Roland, Mémoires de Madame Roland, avec une notice sur sa vie, des notes et des éclaircissements historiques, Tome second, Notices Historiques sur la Révolution, Second Ministère, pp.10-11. M. M. Berville et Barrière, Baudouin frères imprimeurs-libraires éditeurs, Paris, 1820. Original provenant de la Bibliothèque nationale de Naples, numérisé le 12 mai 2014.