Journal des Amis de la Constitution, 1791

Choderlos de Laclos, Pierre
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Journal des amis de la constitution, n°11. https://www.retronews.fr/journal/journal-des-amis-de-la-constitution/08-fevrier-1791/1641/2855981/1

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"Qu’on observe ce que sont aujourd’hui les Grecs et les Romains avilis, comme nous l’étions naguère, par la superstition et l’esclavage; qu’on se rappelle ce qu’ils étaient sous l’influence de la liberté, et qu’on juge à quel degré d’élévation doit parvenir un peuple qui avait su mériter encore quelque estime au milieu des fléaux destructeurs de toute vertu. Telle est la brillante perspective de la France."

Keywords

Cet ouvrage historique a tout l’intérêt des romans les plus célèbres, et surpasse en invraisemblance tous ceux qu’on a tant accusés d’exagération dans la peinture des mauvaises mœurs de la bonne compagnie.

On se convaincra, par sa lecture, que les fictions atroces et scandaleuses, à l’aide desquelles les romanciers dévoilaient et combattaient les caractères infâmes qu’ils mettaient en scène, étaient encore au-dessous de la réalité.

On y découvrira aussi l’intérêt qu’avaient tant d’honnêtes gens à crier au scandale contre de pareils hommes: on y reconnaîtra enfin que la révolution n’était pas moins nécessaire pour le rétablissement des mœurs, que pour celui de la liberté. Richelieu, né avec toutes les qualités aimables, beaucoup d’utiles, et quelques-unes de grandes, fit son unique affaire d’être en faveur à la cour, et il fut à la fois esclave et tyran, avare et déprédateur: après avoir été le héros des mauvaises mœurs, il en devint l’apôtre. Sa longue carrière a été une suite non interrompue d’infamies et de succès. Placé chez un peuple libre où les honneurs eussent été le prix de l’estime, et l’estime celui des talents et des vertus, Richelieu eût été toute sa vie ce qu’il fut à Gênes, ce qu’il fut à Mahon. 

Nous remarquerons, à ce sujet, que ceux qui déjà aiment à calculer les prospérités futures de la France, la gloire que lui prépare notre révolution, ne s’occupent pas assez d’y comprendre ce que doivent y ajouter les vertus des citoyens, fruits heureux d’une constitution libre. Qu’on observe ce que sont aujourd’hui les Grecs et les Romains avilis, comme nous l’étions naguère, par la superstition et l’esclavage; qu’on se rappelle ce qu’ils étaient sous l’influence de la liberté, et qu’on juge à quel degré d’élévation doit parvenir un peuple qui avait su mériter encore quelque estime au milieu des fléaux destructeurs de toute vertu. Telle est la brillante perspective de la France.

Ceux qui, s’intéressant à ses belles destinées, connaissent l’empire des circonstances, et se rappelleront celles où s’est trouvé Richelieu, regretteront peut-être qu’il ne soit pas né à l’époque de sa mort.

Sources

VIE PRIVÉE du maréchal de Richelieu, contenant ses amours et intrigues, et tout ce qui a rapport aux divers rôles qu’a joués cet homme célèbre pendant plus de quatre-vingts ans, 3 vol., in-8° formant 1400 pag., imprimés sur caractères de M. Didot; prix 13 liv. 10 s. broché pour Paris, et 15 liv. franc de port pour tout le royaume., À Paris, chez Buisson, Libraire, hôtel de Coëtlosquet, rue Haute-feuille, n° 20, 8 février 1791, p. 521-522.