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"On ne parla chez madame du Deffant, ni de philosophie, ni même de littérature : la compagnie étoit composée de gens de différens états ; les beaux-esprits s'y trouvoient en petit nombre, et ceux qui vont dans le monde y sont communément aimables , quand ils n'y dominent pas."
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On ne parla chez madame du Deffant, ni de philosophie, ni même de littérature : la compagnie étoit composée de gens de différens états ; les beaux - esprits s'y trouvoient en petit nombre , et ceux qui vont dans le monde y sont communément aimables , quand ils n'y dominent pas . Madame du Deffant causoit avec agrément ; bien différente de l'idée que je m'étois faite d'elle , jamais elle ne montroit de prétentions à l'esprit ; il étoit impossible d'avoir un ton moins tranchant ; ayant très peu réfléchi , elle n'étoit dominée que par la seule habitude . Elle eut , dit - on , sans aucun système , une conduite très - philosophique dans sa jeunesse . On étoit alors si peu éclairé , que madame du Deffant fut long - temps , si non bannie de la société , du moins traitée avec cette sécheresse qui doit engager à s'en exiler soi - même . Trente ans après , la lumière commençant à se répandre , madame du Deffant crut se rétablir dans le monde en adoptant des principes qui la justifioient . La philosophie sauvoit l'humiliation de rougir du passé ; il étoit agréable de pouvoir tout à coup regarder en arrière , non - seulement sans regret et sans honte , mais avec satisfaction et une sorte d'orgueil ; et , au lieu d'avouer qu'on s'étoit conduit avec beaucoup d'imprudence et d'étourderie , de pouvoir se vanter d'avoir été , par une heureuse inspiration , disciple des philosophes à naître ; et enfin , il étoit beau d'a voir le droit de dire à tous les grands et cé lèbres moralistes du jour : Ce que vous prêchez je l'ai fait avant que vous eussiez instruit l'univers .
Madame du Deffant n'ayant de sa vie médité une opinion , au fond de l'âme n'en avoit point ; elle n'étoit pas même sceptique . Pour douter, pour balancer, il faut du moins avoir superficiellement comparé , et fait quelque examen, et c'est une peine qu'elle n'avoit jamais voulu prendre . Elle se peignoit très bien elle-même, en disant qu'elle laissoit flot ter son esprit dans le vague. Triste situation à tous les âges , surtout à quatre-vingts ans ! .. Cette paresse d'esprit et cette insouciance lui donnoient , dans la conversation , tout l'agrément de la douceur. Elle ne disputoit point ; elle étoit si peu attachée au sentiment qu'elle énonçoit, qu'elle ne le soutenoit jamais qu'a vec une sorte de distraction. Il étoit presque impossible de la contredire ; elle n'écoutoit pas, ou elle paroissoit céder, et elle se hâtoit de parler d'autre chose. Elle me fit promettre de revenir la voir à l'heure où, sortie de son lit, elle achevoit de s'habiller, elle étoit alors toujours seule, c'est-à-dire entre trois et quatre heures après midi, car elle avoit depuis longttemps perdu le sommeil. On lui faisoit la lecture durant la nuit , et elle ne s'endormoit jamais avant le jour. J'y re tournai le surlendemain . Je la trouvai dans son fauteuil ; un valet de chambre , assis à côté d'elle , lui lisoit tout haut un roman. Ce roman l'ennuyoit, et elle parut charmée de ma visite : je restai deux ou trois heures avec elle, et j'écoutois presque toujours. Elle me parla de l'ancien temps , de la cour de madame la duchesse du Maine , de Chaulieu, du marquis de La Fare , de l'ingénieux Lamothe , de madame de Staal, dont j'aime tant l'esprit , et elle me promit de me montrer une autre fois plusieurs petits manuscrits et beaucoup de lettres de l'impératrice de Russie . Madame du Deffant , au moyen d'une petite machine très - simple , écrivoit fort bien et se passoit de secrétaire : son écriture étoit grosse , mais très - lisible . Les jours suivans elle me fit lire , par son valet de chambre , plusieurs petits morceaux de sa composition , des allégories et des portraits : c'étoit le goût du siècle dernier parmi les personnes spirituelles de la société . Ces portraits , tous faits avec l'intention de plaire et de flatter , sont assez insipides ; le plus joli que madame du Deffant ait écrit est celui de madame de Mirepoix , fait aussi , mais en vers , et d'une manière très-agréable , par le président Hénault. J'avois beaucoup plus de curiosité de connoître les lettres de l'impératrice , mais elles ne , contiennent que des allusions et des plaisanteries de société , la plupart sur M. Grimm. Pour me les faire comprendre , madame du Deffant étoit obligée d'arrêter, à chaque ligne, le lecteur et de m'expliquer les à-propos. Ces lettres sont véritablement surprenantes par leur longueur et leur extrême frivolité ; il seroit curieux de les voir rassemblées avec celles que la même princesse écrivoit à M. de Buffon , et qui montrent tant d'esprit et des connoissances si étendues.
Sources
Texte : Genlis, Stéphanie Félicité, comtesse de, Mémoires inédits de madame la comtesse de Genlis, sur le dix-huitième siècle et la révolution française, depuis 1756 jusqu'à nos jours. Paris : Ladvocat, 1825, vol. 3, p. 110-114.