Warta and the Duchess of Kingston (1853)

Oberkirch, Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'
Image
Augustin de [Marenkelle] Saint-Aubin, ‘Conte Stefano Zannouvich’, Collections numerisées de la bibliothèque de l’INHA, NUM EST 7970, s.d..

Quote

"Il portait un costume resplendissant d'or et de pierreries, il était toujours armé jusqu'aux dents et des plus belles armes du monde, dont il se servait très adroitement."

Dans son premier voyage d'Italie, lorsqu'elle était à Rome la véritable souveraine du pape et des Romains, on lui annonça, un jour, un seigneur nommé Warta, prince d'Albanie, dont la ville entière raffolait, et qui était certainement la plus belle créature que Dieu eût jamais faite. Il portait un costume resplendissant d'or et de pierreries, il était toujours armé jusqu'aux dents et des plus belles armes du monde, dont il se servait très adroitement. La duchesse, à quinze ans, avait été sans aucun doute la plus belle femme de l'Angleterre, où il y en a tant de belles, mais il lui restait, malgré son âge, assez de charmes pour qu'elle pût se croire aimée sans s'abuser. Le prince Warta avait un esprit aussi fin que brillant, une conversation piquante et variée. Il montrait des sentiments généreux et nobles, un amour de sa patrie, une haine de l'oppression, enfin tout ce qui pouvait plaire à une femme. Élisabeth l'aima, elle l'aima plus qu'elle n'avait aimé le duc de Hamilton, dans son bel âge. Elle l'aima de toute la tendresse d'un cœur sur son déclin, elle l'aima follement, au point de se décider à faire pour lui ce qu'elle avait refusé au prince Ratziwil. Leur mariage fut convenu, elle consentit à s'expatrier, à courir les chances d'une guerre, à laquelle elle consacrait sa fortune comme une extravagante. Le prince d'Albanie voulait conquérir de la gloire, secouer le joug de l'étranger et devenir un héros.

Il quitta la duchesse pour aller en Hollande trouver messieurs des États généraux et leur offrir vingt mille Monténégrins, les hommes les plus braves du monde entier, pour les aider dans leur guerre contre l'Empire. Il devait les commander; il devait devenir l'homme le plus célèbre du siècle et ajouter l'auréole du triomphe à celle de sa jeunesse. La duchesse avait la tête trop folle pour ne pas accepter ces chimères et les adopter toutes. Cet homme possédait un tel don de persuasion, il était si séduisant, ses paroles étaient si dorées et si entraînantes qu'il convainquit jusqu'aux États généraux de Hollande, ces personnes sages, positives, parcimonieuses, ces esprits étroits et justes. Ils prirent des renseignements, et ces renseignements confirmèrent les assurances, il fut accepté. Comment la duchesse de Kingston aurait-elle mis en doute ce que les États de Hollande reconnaissaient? Elle reçut des lettres brûlantes de celui qu'elle aimait, lui jurant qu'il deviendrait digne d'elle, ou qu'elle ne le reverrait jamais.

Cependant l'ambassadeur de Turquie en France avait aussi pris des renseignements sur le prince Warta, et s'étant adressé apparemment à des sources plus certaines, il apprit que cet homme, si remarquable sous tous les rapports, pour lequel la nature avait été si prodigue, n'était qu'un misérable aventurier grec, échappé de Constantinople où il avait subi une condamnation pour vol. Il était de plus renégat, et à deux reprises différentes. L'ambassadeur prévint de suite messieurs des États; le soi-disant prince fut arrêté, au moment où il s'y attendait le moins, et conduit en prison. Son désespoir fut horrible, mais concentré. Il ne répondit pas un mot à ceux qui l'interrogeaient, ne nia rien, n'avoua rien, et se laissa enfermer dans son cachot, sans opposer la moindre résistance. Le lendemain matin on le trouva mort, empoisonné par une bague, qu'il portait toujourrs sur lui, pour cet usage. Dès longtemps il s'y attendait. Près de lui il y avait une lettre adressée à la duchesse de Kingston. 

Sources

Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch. Mémoires de la baronne d'Oberkirch ... avec un fac-simile de l'écriture de S.M. Marie Feodorowna. Paris : G. Charpentier, libraire-éditeur, 1853, Volumes 1 à 2, p. 279-282. Transcription by Alain Kerhervé.